Andrew Edgecliffe-Johnson, FT
Depuis 50 ans, on demande aux entreprises de donner la priorité aux actionnaires. Aujourd’hui, même leurs plus gros investisseurs contestent ce principe. En 1974, le fonds de pension de Phillips-Van Heusen a vendu, largement à perte, ses parts dans International Telephone and Telegraph en signe de protestation contre les financements politiques distribués par le conglomérat américain. Selon le ‘Financial Times’ de l’époque, c’était la première fois qu’un investisseur important claquait la porte en raison d’actes répréhensibles commis par une entreprise.
Prise par un comité d’entreprise dévolu à la responsabilité sociétale et composé de cadres intermédiaires du fabricant de chemises, la décision n’avait pas beaucoup impressionné le correspondant du FT à New York.
“Bien sûr, l’idée d’un comité objecteur de conscience jouant au David contre ITT le Goliath et imposant sa loi à ce gigantesque conglomérat est risible”, écrivait-il, le travail d’un gestionnaire de fonds consistant simplement à “générer de l’argent plutôt que des jugements subjectifs personnels”.
Ce verdict avait donné lieu à un consensus relativement nouveau à l’époque, fondé sur la thèse de Milton Friedman selon laquelle, pour une entreprise, la quête d’autre chose que le profit (légal) constituerait “du socialisme pur et simple”. Selon un tonitruant essai de l’économiste de Chicago, paru en 1970, les dirigeants d’entreprise débitant des inepties sur la responsabilité sociétale étaient des marionnettes, les idiots utiles de forces qui allaient saper les bases d’une société libre.
“Selon Milton Friedman en 1970, les dirigeants d’entreprise débitant des inepties sur la responsabilité sociétale étaient des marionnettes, les idiots utiles de forces qui allaient saper les bases d’une société libre”
Les protestations du fonds de pension n’ont pas essaimé, contrairement à la thèse de Milton Friedman. Sa doctrine affirmant la prééminence de l’actionnaire définit le capitalisme anglo-saxon depuis près de 50 ans et a façonné un monde de plus en plus dirigé par les entreprises.
La chasse aux retours sur investissements au profit des actionnaires et au détriment des autres parties prenantes [...]